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16/08/2021

Casa by Light

Maroc, Maroc-Land, Casablanca, casa, Humour, Voyage

Ce n’est pas très intelligent d’arriver à Casablanca à 5 heures du matin. Surtout lorsque l’on a rien à y faire avant 10 heures... Mais, avais-je le choix ? Les horaires étaient ainsi fait que pour arriver à mon rendez-vous, il fallait que je prenne le car de nuit en partance de Tétouan. Le résultat ? 5 heures à tuer au milieu d’une ville maintenant déserte et à la réputation douteuse. Cette perspective ne m’inspirait guère. Mais, j’étais tout de même bien décidé à user de ce temps pour découvrir enfin la capitale économique, sans à priori ni clichés.

Et puis, de si bon matin, que pouvait-il m’arriver ?

Dans un sens, c’était ma deuxième visite à Casablanca. La première remonte à assez longtemps... Si mes souvenirs sont bons, je devais peser entre 4 et 5 kilos et je me faisais palper le ventre par une infirmière de l’Office Migratoire Français, avant mon départ, avec mes parents, pour l’Hexagone. Autant dire que je ne connaissais rien de la ville, si ce n’est ce que l’on m’en disait dans le Nord : une ville où il faut marcher droit à la sortie de la Gare Routière et ne pas montrer que l’on est un étranger, sous peine de survivre moins de 30 minutes. Une ville de contrastes. Dangereuse et prospère. Miséreuse et opulente. Sale et rutilante.

Ce que j’en voyais maintenant, alors que s’estompaient le bruit des claquements de portières des taxis et le ballet des personnes venus chercher les leurs, c’était cette large avenue déserte où passaient quelques rares taxis rouges.

L’Hôtel Hyatt regardait, dans un demi-sommeil, les demi-cercles métallique de la Place des Nations-Unis. Le silence, dans ce décor figé, prenait une forme solide.

 

La première chose que fait un touriste, lorsqu’il ne connaît rien à la ville et qu’il manque cruellement de repères, c’est de se diriger vers le premier monument familier à portée de regard...

Le grand Minaret de la Mosquée Hassan II apparaissait parfois au dessus des immeubles. Je me dirigeais à l’aveugle, au hasard des avenues pour m’y rapprocher. Ce Minaret éclairé était peut-être la seule chose qui me rassurait dans cette ville. Une sorte de phare au milieu de la nuit, alors que s’égrenaient, menaçantes, les façades sombres et austères des murs de l’Ancienne Médina...

Sur place, l’impression de grandeur est confirmée. La Mosquée Hassan II est un dinosaure. Sous la nuit finissante, la bâtisse écrase la vaste place de son immensité. Sa beauté est saisissante. Détails des murs, formes géométriques infinies, entrelacements des structures, hauteur étourdissante du minaret...

Soudain. Black out. Plus de lumière.

Dans le noir, j’entends la respiration des vagues de l’Océan Atlantique à quelques mètres...

Je reste bien là quelques minutes, immobile, sans comprendre... Lorsqu’une voix derrière moi m’interpelle. C’est un imam1 :

« La visite est terminée, Monsieur... Quand il n’y a plus de lumière, plus de visite ! Revenez à 9 heures... »

« Ah. »

Je quitte alors les abords de la Mosquée, devenue une ombre immense et sombre.

 

 

Là, si je devais vous décrire ma situation et mon occupation du moment, je dirais que je suis en train de courir le plus vite possible sur la Corniche. Et pas pour faire mon footing quotidien, non.

Pour que vous compreniez, nous allons remettre un peu en arrière : je cours, je cours (C’est ridicule à l’envers, je vous l’accorde...) ; un gars tombé à la renverse qui revient sur ses pieds ; une empoignade serrée qui devient une poignée de main chaleureuse ; une marche rapide en arrière vers la Mosquée Hassan II, qui se rallume ; moi, montant à reculons dans un car ; recevant de l’argent d’un guichetier à Tétouan ; moi remettant un portefeuille dans la poche d’un passant au Souk de Bab Nwader... Euh... Nous allons éviter de trop remonter en arrière...

Je marche tranquillement aux abords du phare d’El Hank, lorsqu’il vient vers moi. Sortant de derrière un mur, il m’appelle de loin et arrive à ma hauteur. Il est seul. Il est maigre. Il est défoncé. Il me demande 2 ou 3 dirhams. Il me remercie chaleureusement lorsque, fouillant dans ma poche, je lui en tends 5. Il me serre la main pour montrer sa gratitude (ou, comme je vais vite le comprendre, pour me maintenir à sa portée). Il me dit :

« Tu n’aurais pas 20 ou 30 dirhams à me dépanner ?...

-Non, là, vraiment...

-Il faut aussi absolument que j’appelle quelqu’un, si tu pouvais me prêter ton téléphone, tu serais le meilleur, mon frère... »

Je finis par comprendre (oui, je suis un peu lent.) que cet échange ne va pas se terminer dans la courtoisie. Je réponds :

– Je suis désolé, je n’ai pas de téléphone...

Il me serre alors le bras :

– Allez, m’oblige pas à te le prendre de force...

À ce stade, un voleur normal m’aurait sorti un couteau de la taille de l’Excalibur. Il ne l’a pas fait : il n’en a pas. Je lui dis alors, faisant mine de chercher dans ma poche : « Ça va, ça va, je te le donne... »

Puis, tout à la fouille de ma poche, je le pousse violemment. L’agresseur lâche prise, tombe en arrière sur le trottoir. Enfin libéré de son étreinte, je réfléchis à la meilleure façon d’agir :

Réponse A : Je relève le gars en m’excusant de ma brutalité et en lui proposant de régler notre différent autour d’un bon café, il répond : oui, c’est trop bête de se disputer pour ça, il me tape sur le dos en riant et l’on devient les meilleurs amis du monde. Je l’invite même, quelques années plus tard, à mon mariage.

Réponse B : Je lui dis que voler, c’est mal, et que ses agissements ne sont pas dignes d’une personne de bonne conduite. Il baisse les yeux de honte et me promet solennellement que même s’il a faim, et même en manque, il n’agressera plus jamais personne. Je le rencontre des années plus tard. Il me dit que sa rencontre avec moi a changé sa vie, il s’est marié, a eu des enfants, une bonne situation...

Réponse C : Surpris et à la fois ravi de ma défense, il me propose une association avec lui, en me vantant les avantages d’une activité assez lucrative, peu contraignante et bien sûr, non soumise aux impôts et taxes. J’accepte avec joie, n’ayant rien à faire avant 10 heures, puis nous mettons au travail en nous postant tous les deux en contrebas d’une ruelle pour intercepter les joggeurs. Notre efficacité commune contraint trois victimes à lâcher leur téléphone. Mais un différent sur le partage d’un smartphone mettra fin à cette fructueuse collaboration, altérant la confiance et... Oh, zut ! Je crois qu’il se relève !

Désolé, mais je vais choisir la réponse D : Je cours comme un dératé pour ne pas le voir rappliquer lui et ses potentiels potes ! Tchao !

Arrivé à El Jadida, je me dis que je l’ai peut-être semé...

Plus tard, un ami Casaoui, à qui je raconterais mon histoire, a éclaté de rire. Pour lui, aller du coté d’El Hank à 5 heures du matin, c’était comme émettre de puissants phéromones voulant dire : « Braquez-moi s’il vous plaît, je suis en manque ! » ou « Qu’est-ce que vous attendez pour me voler mon téléphone, il faut vous supplier ici ou quoi ? »

La personne qui répondait naturellement à ce stimuli avait donc cru bien faire...

Mais pour l’heure, encore en sueur de ma course, c’est au conducteur de petit taxi que je raconte ma mésaventure. Je lui dis que Casa a une drôle de façon d’accueillir ses visiteurs... Il est en colère. Il me demande où il peut retrouver l’agresseur pour lui envoyer la police. Je lui dis que ce n’est pas la peine, qu’il ne m’a rien pris, à part 5 dirhams.

Je lui demande de me faire un tour de la ville. Il s’accommode de cette visite de bonne grâce. Le soleil est enfin levé, et de nombreux joggeurs parsèment l’avenue côtière qui se colore maintenant d’une lumière jaune. Il me montre la Corniche et ses clubs, la plage de Ain Diab, le beau quartier Californie ; nous repassons par les alentours du phare d’El Hank, par la mosquée Hassan II, nous longeons le Port de Casa. La Place des Nation-Unis, la grande Place Mohamed V et sa grande Poste. Enfin, je lui demande de me trouver un bon café ouvert à cette heure. Il m’y ramène et je le remercie chaleureusement.

40 dirhams sur le compteur. Il m’en demande 30...

 

7 h 35. Je suis donc assis à la Brasserie de Mers El Sultan. La boulangerie en face. La pharmacie principale. L’imprimerie-papeterie Idéale. Une place avec une sorte de poteau électrique au centre. J’attends que la ville se réveille.

J’ai choisi de m’attabler dehors, pour profiter de l’air matinal... Mais était-ce un bon choix? Je le vois arriver de loin. Et ce n’est pas difficile tant la place est encore déserte. Il marche, débraillé et chancelant, décrivant une trajectoire hésitante et aléatoire. Une trajectoire qui devient soudain rectiligne lorsqu’il m’aperçoit. Il se dirige vers ma table.

Lorsqu’il arrive à ma hauteur, il me regarde, empoigne ma tasse de café, la boit. Puis il s’éloigne comme si de rien n’était.

Bon. Je me sens, à cet instant même, une curieuse proximité avec un mollusque que l’on appelle le Bernard L’Hermite : je rentre à l’intérieur du café.

Après y avoir gagné une heure de sécurité, mon errance me conduit très vite dans un parc vers la Place Mohamed V. Couché sur un banc, j’attends que le temps passe jusqu’à mon rendez-vous. Il est à peine 8 heures 30... La fatigue me gagne, consécutive à une mauvaise nuit dans le car et au contrecoup de mes péripéties de l’aube. La tête appuyée sur mon sac à dos, je promène mon regard. Quelques personnes, clairsemées dans le parc, un groupe de trois jeunes, assis sur la pelouse un peu plus loin... Les rues commencent à se remplir timidement. Il y a de plus en plus de voitures sur les avenues. En haut, le soleil dépasse quelques toits. Je tourne la tête à nouveau. Les trois jeunes, toujours assis sur la pelouse, se sont rapprochés... J’essaie de me défaire de ce sentiment de suspicion, sans doute né de mes mésaventures... Je serre mon sac à dos. Je tourne encore une fois la tête. Il se sont encore rapprochés...

Bon. Paranoïaque ou pas, je me lève et quitte le parc. Je décrète alors une loi : fini les visites piétonnes avant une heure décente ! Lorsque 9 heures arrive, je me terre dans un cyber, en position latérale de sécurité, jusqu’à l’heure de mon rendez-vous...

 

Comme vous pouvez le constater, mes premiers contacts avec Casablanca n’ont pas été faciles. Car tout ce que je vous ai raconté ici m’est vraiment arrivé, le même jour et la même matinée.

Pourtant, j’ai eu l’occasion de découvrir, le jour même, et la même matinée, lorsque j’ai pu enfin retrouver mes amis, l’autre visage de cette ville : une Casa active, créatrice, moderne, bondée, occupée, vivante, immense. Du quartier Maarif à la Corniche, de Casa port à Ain Sebâa, j’ai pu ressentir, dans un contexte beaucoup plus serein, l’énergie brutale de cette ville. Une énergie née de ses contrastes presque vertigineux. De cette position symbolique entre le sommet économique et le précipice social.

En 12 heures ici, j’ai vu des tours majestueuses et des bidonvilles interminables, j’ai vu se côtoyer des zombies et des cadres. J’ai vu des personnes réduites à marcher le cerveau troué de rêves, à coté de ceux qui les fabriquent...

Et, dans ce train qui me ramène chez moi, je quitte la capitale économique un peu plus vieux, mais comblé.

Depuis, je suis toujours revenu avec plaisir à Casa.

Mais toujours après 10 heures du matin...

 

Mohamed Saïyd in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.

 

Lexique :

1. Imam : Guide religieux, personne qui dirige la prière collective.

Super Héros Locaux (Extrait)

Maroc, Maroc-Land, Super héros, Insécurité, délinquance, Tanger, Tétouan, Humour

Il faut le reconnaître, nos rues sont parfois dangereuses et mal famées : des incivilités, des insultes, des bagarres d’ivrognes, des voyous qui rackettent les portefeuilles et les portables au couteau, des gens qui jettent leurs déchets dans les poubelles appropriées...

Tout cela crée un sentiment de peur et d’insécurité qui pèse sur les honnêtes citoyens... Enfin honnêtes... Sur les citoyens qui volent le moins quoi...

Et devant ce triste constat, une urgence s’impose : la ville a besoin d’un justicier, d’un super héros capable de lutter contre le crime et de ramener l’ordre, la tranquillité et l’espoir à tous ses habitants.

Répondant à cette attente, la Municipalité a rapidement lancé un appel d’offres pour embaucher un super-héros d’expérience, reconnu dans le secteur, et disposant de très bonnes références à l’international.

Ainsi, longtemps pressenti, SuperMan©, un peu en fin de carrière aux États-Unis, a finalement décliné l’offre : le salaire de 6.000 dirhams ne convenait pas selon lui à son standing.

Hulk©, qui lui avait accepté, a été débarqué en catastrophe. Il causait d’énormes dégâts et détruisait tout sur son passage : tout l’énervait au Maroc.

Un peu moins connu sauf des spécialistes, le Surfeur d’Argent© passait malheureusement plus de temps au Cap Spartel que sur le terrain.

Et l’enthousiasme provoqué par l’arrivée en grande pompe de son remplaçant, SpiderMan©, fut vite déçu. Après quelques semaines de travail, il commençait déjà à s’adapter aux mœurs locales et à demander systématiquement 50 ou 100 dirhams pour intervenir auprès des victimes.

Devant ce constat d’échec, pourquoi ne pas se tourner vers nos super-héros locaux ? Car des femmes et des hommes avec des supers pouvoirs, ce n’est pas ce qui manque à Maroc-Land, bien au contraire.

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Mohamed Saïyd in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.

Zéros Sociaux (Extrait)

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Le développement du haut débit a démocratisé à grande vitesse l’usage de l’Internet dans notre pays. Désormais à portée de téléphone, des applications comme Facebook©, Twitter©, Instagram©, Snapchat© et tant d’autres, ont transformé durablement notre façon de communiquer avec les autres.

Mais ce que l’on sait moins, c’est que bien avant ce déferlement, notre pays était à la pointe dans ce domaine. Les concepteurs de l’Internet 2.0 se sont tous en effet inspirés des modes d’interactions dans un village campagnard du Nord du Maroc, en reprenant à leurs comptes des algorithmes que nous n’avons pas eu l’indécence d’exploiter... Il est donc grand temps de corriger cet oubli.

Facebook© par exemple, est l’ancêtre d’une application très en vogue à la fin des années quatre-vingt-dix dans ce même village, alors à la pointe dans cette discipline que l’on appelle la « Tberguigologie »1. Cette application, qui s’appelait alors Fdah Bok2, permettait d’afficher, à la vue de tous, ses humeurs, ses états d’âme ou ses réflexions... On a d’ailleurs retrouvé, dans les limbes d’internet, des preuves de cet ancêtre, comme ce fil d’actualité que l’on a déniché de cette époque :

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Mohamed Saïyd in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.

 

Lexique : 

1. Tberguigologie : De « Tberguig », qui désigne l’art du du commérage, de la curiosité pour la vie d’autrui.

2. Fdah Bok : Des mots « Fdah », dévoile, et « Bok », ton père.