16/08/2021
Marrakash
La légende de Marrakech a tanné le cuir de tant d’imaginaires... C’est donc avec un plaisir évident, mêlé à la crainte naturelle de l’inconnu, que je m’en vais à la rencontre de ce lieu magique et mythique. Car à ma grande honte, je ne suis jamais allé dans la ville rouge, ne connaissant la cité qu’au travers de mes lectures, et par les souvenirs de ceux qui en sont revenus, illuminés...
On dit de Marrakech qu’elle a changé, qu’elle n’est plus la même. Qu’elle a été dénaturée par l’argent, par le tourisme de masse, par les résidences dorées. Mais qui suis-je pour juger ? N’étant ni ancien ni récent, il me tarde juste de découvrir cette ville à mon tour...
Et déjà, à la sortie de la gare, la réalité se conforme à mes attentes : les bâtiments sont rouges, le plafond du ciel est haut et l’air semble avoir ici une légèreté irréelle... Je goûte, dans le quartier Gueliz, à cette douce plénitude, seulement dérangée par un fond sonore que je n’arrive pas encore à définir. Une sorte de vibration permanente, un bourdonnement qui grandit... Puis qui emplit l’espace de plus en plus fort, comme si l’on s’approchait d’une ruche géante...
Lorsque je déboule sur le grand boulevard, je comprends : des scooters, des mobylettes, des motos... Tout gronde, bourdonne et pétarade à l’unisson. Des centaines d’abeilles motorisées se poursuivent sur l’Avenue, se klaxonnent, se dépassent en furie, zigzaguent entre les véhicules, accélèrent, ralentissent, freinent, puis, agglutinées aux feux rouges, bouchant en grappes chaque espace entre les voitures, elles bourdonnent de plus belle et s’éparpillent lorsque le feu passe au vert.
Ville étendue et plate, Marrakech est donc le Royaume des deux-roues. Et, lorsqu’on appelle un petit taxi, on comprend vite pourquoi :
« Salam Aleykoum... J’aimerais me rapprocher du centre ville, s’il vous plaît...
– Bien sûr, pas de problème... Ça fera 60. Payable d’avance.
– 60 ? Ce n’est pas un peu cher ?
– Ah mais ici, c’est le tarif normal.
– Et ce compteur là, vous ne le mettez pas en marche ?
– Vous plaisantez ? Une authentique pièce de collection, l’un des derniers encore en état de marche ici. Je n’y touche plus depuis 2003 !
Je sors l’argent de mauvaise grâce... Mais le chauffeur m’arrête soudain :
– Hé, c’est quoi, ce plan, là ? Tu veux me refiler de la fausse monnaie ou quoi ?
– Pardon ?
– C’est quoi ces billets que tu me donnes ?
– Ben... C’est 60 dirhams...
– « Dirhams » ?... Quel est ce mot étrange ?
– Ben... Je... Le dirham, la monnaie nationale du Maroc et...
– Écoute, je ne sais pas de quoi tu me parles, mais ici, la monnaie c’est l’Euro ! Alors sois tu me donnes 60 euros, sois tu sors de mon taxi. Tu me fais perdre mon temps, là !
Après une longue marche sous le soleil du midi, j’arrive enfin à destination : j’entends au loin la clameur des tambours et des paroles...
Il y a bien sûr tant d’endroits à découvrir dans cette magnifique cité, capitale étincelante et faste de tant de dynasties. Mais, pour mon premier séjour dans la ville rouge, je ne fais pas dans la finesse touristique. À chaque pas en direction de la place Jamaâ El Fna, je sens la vibration imperceptible et grandissante que fait au sol et dans ma poitrine la somme des chants, des percussions et des cris... Je me laisse avaler par la multitude colorée des étals et des rondes.
Et parmi tous ces auditoires et parasols, abritant des spectacles aussi hétéroclites que désordonnés, je me sens irrésistiblement attiré par les assemblées de conteurs qui parsèment ça et là les lieux. Je prends part à une halka1 d’une assez grande importance. En son centre, un vieux conteur vénérable est apparemment arrivé à l’un des nœuds de son récit car autour de lui, la foule cuit d’impatience :
– Alors, Ba Omar? Que s’est-il passé ensuite ?
Après un moment de silence qui se veut grave, le vieux conteur libère son auditoire :
– Lorsque tout cela a été fait, Frederico a tout de suite appelé Annabella, son ex-femme, pour lui dire qu’il détenait désormais 71% des parts de PetroBrasco, la société du père d’Annabella, et qu’il éjectait donc celle-ci du Conseil d’adminitration...
Sous la clameur de désapprobation furieuse de la foule, je quitte le cercle et m’approche d’un autre auditoire. Le conteur raconte cette fois-ci une histoire familiale turque assez complexe qui ne m’emballe pas tellement...
Je retente ma chance au sein d’une autre ronde, elle aussi assez fournie. Autre ambiance : ce sont cette fois-ci deux acteurs qui se livrent en binôme à une réflexion fine sur la psychologie féminine :
– Tu sais Anouar, le problème, c’est que je ne sais pas ce qu’elle veut... Je crois que je n’ai jamais su...
– Mais tu lui en as parlé ?
– Bien sûr, mais c’est très difficile de parler sérieusement avec elle. Elle a toujours des élans de fuite, d’évitement... Et je me demande si ça vaut la peine de continuer...
Le spectacle, certes, élitiste, moderne et audacieux, est un peu ennuyeux.
L’un des auditeurs, visiblement impatient, finit d’ailleurs par interpeller le binôme :
– Bon alors ! Ça mène où cette histoire ?
Les deux se retournent soudain, pris de panique :
– Mais qu’est-ce que vous faites là, bordel ! C’est une conversation privée ! Allez vous-en !...
– Ah ? Désolé, un réflexe...
Je continue mon chemin à travers la place. J’entre dans la médina qui se remplit d’une foule de plus en plus dense. Foule qui se perd dans le foisonnement des magasins, des boutiques et des échoppes remplies de marchandises colorées...
Tout cela rappelle qu’avant d’être une grande cité culturelle et touristique, Marrakech est avant tout un immense marché, une place commerciale forte, l’une des plus importantes du Maroc. Une place où l’argent se fait avec acharnement et où les techniques de vente sont d’une efficacité redoutable.
Ce marketing a d’ailleurs attiré l’attention de grandes entreprises internationales venues s’inspirer de ce savoir-faire dans leur stratégie de communication.
Qui ne se souvient pas en effet du slogan de ce géant de l’hydrocarbure, inspiré de techniques de vente d’ici :
« Hello ? Psst ! Hep ! Pétrole ? Sss ! Ohé ! Pétrole ! Frais !... »
Ou, de cette publicité d’un célèbre groupe automobile :
« Avec ses quatre roues motrices, son moteur 2,2 litres et sa stabilité hors du commun, La Neruda vous ouvre de nouveaux horizons. Pour 240.000 dirhams seulement... Trop cher ?... 200.000 dirhams alors... Allez ! Reviens, je te la laisse à 190.000... Quoi ? Tu la prends pas à 180.000 ?! Tu crois qu’on travaille pour ta mère ou quoi ? Allez, casse-toi, espèce d’âne, va ! »
Je découvre par ailleurs, au contact de cette ville, des techniques commerciales toujours plus révolutionnaires. Comme celle de chasser un client de sa chaise quand il finit son verre, celle de servir un repas de la veille à peine chauffé ou de vendre une bouteille d’eau 3 fois son prix habituel...
Et, tandis que le jour décline et qu’il est grand temps de rejoindre mes amis, je m’interroge... Marrakech est-elle vraiment obnubilée par l’argent ?
Errant dans des ruelles de plus en plus étroites, je laisse passer régulièrement les scooters et mobylettes qui, décidément, sont bien le sang de cette ville... Je profite de ces instants doux qu’offre Marrakech au crépuscule : le chant des oiseaux, ce petit vent frais du soir, cette lumière chaude et rasante qui colore les murailles... Puis, j’arrive devant la porte de mon couple d’amis qui m’accueille avec joie et me souhaite la bienvenue.
Après les effusions et les saluts d’usage, et après avoir laissé passer un scooter qui roulait dans le couloir, nous nous installons dans le salon. Devant un thé, je raconte à mes hôtes ma journée à la découverte de Marrakech, mes aventures, mes joies, mes déceptions aussi... Reconnaissant la beauté sublime de leur ville, je leur fais tout de même part de ma gêne devant cette omniprésence de l’argent.
Ils sont à la fois triste et honteux d’entendre ça. Ils me disent que Marrakech est bien plus que ce que j’en ai découvert aujourd’hui. Qu’il faudrait rester bien plus longtemps et sortir des sentiers battus pour découvrir tous les trésors et subtilités de leur ville.
Entraînés sur cette pente, ils me racontent le Marrakech de leur enfance, les personnages de leur quartier, les commerçants, les mendiants... Ils m’abreuvent d’anecdotes sur la vie quotidienne, entrecoupées de rires. Et, au bout de tant d’histoires, tous deux me font soudain aimer cette ville par procuration, tant leur amour pour leur bonne vieille Marrakech est sincère.
Alors, c’est à regret que je me lève lorsque vient le temps de prendre congé.
– Tu ne veux pas rester encore un peu ? Reprends un verre de thé...
– Non, merci, c’est très gentil.
– Reprends au moins des petits gâteaux...
– Non, vraiment, merci pour tout.
– Dans ce cas, merci de ta visite. On te souhaite un bon retour, et reviens nous voir quand tu le voudras.
– Je n’y manquerais pas, assurément.
Et tandis que la table est débarrassée, mon ami passe derrière sa caisse :
– Bon alors... Si je ne me suis pas trompé, on a donc... Trois verres de thé... À peu près 300 grammes de gâteaux... Notre taux horaire de présence, multiplié par 2 heures 30 à peu près (je te laisse à 2 heures comme tu es un ami)... La TVA... Ça nous fait donc 75 euros.
Pour la superbe soirée que j’avais passé, j’ai trouvé ça très correct.
Mohamed Saïyd in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.
Lexique :
1. Halka : Ronde, auditoire devant un conteur, un spectacle.
13:02 Publié dans Bienvenue à Maroc Land! | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maroc, maroc-land, marrakech, tourisme, voyage, humour
Casa by Light
Ce n’est pas très intelligent d’arriver à Casablanca à 5 heures du matin. Surtout lorsque l’on a rien à y faire avant 10 heures... Mais, avais-je le choix ? Les horaires étaient ainsi fait que pour arriver à mon rendez-vous, il fallait que je prenne le car de nuit en partance de Tétouan. Le résultat ? 5 heures à tuer au milieu d’une ville maintenant déserte et à la réputation douteuse. Cette perspective ne m’inspirait guère. Mais, j’étais tout de même bien décidé à user de ce temps pour découvrir enfin la capitale économique, sans à priori ni clichés.
Et puis, de si bon matin, que pouvait-il m’arriver ?
Dans un sens, c’était ma deuxième visite à Casablanca. La première remonte à assez longtemps... Si mes souvenirs sont bons, je devais peser entre 4 et 5 kilos et je me faisais palper le ventre par une infirmière de l’Office Migratoire Français, avant mon départ, avec mes parents, pour l’Hexagone. Autant dire que je ne connaissais rien de la ville, si ce n’est ce que l’on m’en disait dans le Nord : une ville où il faut marcher droit à la sortie de la Gare Routière et ne pas montrer que l’on est un étranger, sous peine de survivre moins de 30 minutes. Une ville de contrastes. Dangereuse et prospère. Miséreuse et opulente. Sale et rutilante.
Ce que j’en voyais maintenant, alors que s’estompaient le bruit des claquements de portières des taxis et le ballet des personnes venus chercher les leurs, c’était cette large avenue déserte où passaient quelques rares taxis rouges.
L’Hôtel Hyatt regardait, dans un demi-sommeil, les demi-cercles métallique de la Place des Nations-Unis. Le silence, dans ce décor figé, prenait une forme solide.
La première chose que fait un touriste, lorsqu’il ne connaît rien à la ville et qu’il manque cruellement de repères, c’est de se diriger vers le premier monument familier à portée de regard...
Le grand Minaret de la Mosquée Hassan II apparaissait parfois au dessus des immeubles. Je me dirigeais à l’aveugle, au hasard des avenues pour m’y rapprocher. Ce Minaret éclairé était peut-être la seule chose qui me rassurait dans cette ville. Une sorte de phare au milieu de la nuit, alors que s’égrenaient, menaçantes, les façades sombres et austères des murs de l’Ancienne Médina...
Sur place, l’impression de grandeur est confirmée. La Mosquée Hassan II est un dinosaure. Sous la nuit finissante, la bâtisse écrase la vaste place de son immensité. Sa beauté est saisissante. Détails des murs, formes géométriques infinies, entrelacements des structures, hauteur étourdissante du minaret...
Soudain. Black out. Plus de lumière.
Dans le noir, j’entends la respiration des vagues de l’Océan Atlantique à quelques mètres...
Je reste bien là quelques minutes, immobile, sans comprendre... Lorsqu’une voix derrière moi m’interpelle. C’est un imam1 :
« La visite est terminée, Monsieur... Quand il n’y a plus de lumière, plus de visite ! Revenez à 9 heures... »
« Ah. »
Je quitte alors les abords de la Mosquée, devenue une ombre immense et sombre.
Là, si je devais vous décrire ma situation et mon occupation du moment, je dirais que je suis en train de courir le plus vite possible sur la Corniche. Et pas pour faire mon footing quotidien, non.
Pour que vous compreniez, nous allons remettre un peu en arrière : je cours, je cours (C’est ridicule à l’envers, je vous l’accorde...) ; un gars tombé à la renverse qui revient sur ses pieds ; une empoignade serrée qui devient une poignée de main chaleureuse ; une marche rapide en arrière vers la Mosquée Hassan II, qui se rallume ; moi, montant à reculons dans un car ; recevant de l’argent d’un guichetier à Tétouan ; moi remettant un portefeuille dans la poche d’un passant au Souk de Bab Nwader... Euh... Nous allons éviter de trop remonter en arrière...
Je marche tranquillement aux abords du phare d’El Hank, lorsqu’il vient vers moi. Sortant de derrière un mur, il m’appelle de loin et arrive à ma hauteur. Il est seul. Il est maigre. Il est défoncé. Il me demande 2 ou 3 dirhams. Il me remercie chaleureusement lorsque, fouillant dans ma poche, je lui en tends 5. Il me serre la main pour montrer sa gratitude (ou, comme je vais vite le comprendre, pour me maintenir à sa portée). Il me dit :
« Tu n’aurais pas 20 ou 30 dirhams à me dépanner ?...
-Non, là, vraiment...
-Il faut aussi absolument que j’appelle quelqu’un, si tu pouvais me prêter ton téléphone, tu serais le meilleur, mon frère... »
Je finis par comprendre (oui, je suis un peu lent.) que cet échange ne va pas se terminer dans la courtoisie. Je réponds :
– Je suis désolé, je n’ai pas de téléphone...
Il me serre alors le bras :
– Allez, m’oblige pas à te le prendre de force...
À ce stade, un voleur normal m’aurait sorti un couteau de la taille de l’Excalibur. Il ne l’a pas fait : il n’en a pas. Je lui dis alors, faisant mine de chercher dans ma poche : « Ça va, ça va, je te le donne... »
Puis, tout à la fouille de ma poche, je le pousse violemment. L’agresseur lâche prise, tombe en arrière sur le trottoir. Enfin libéré de son étreinte, je réfléchis à la meilleure façon d’agir :
Réponse A : Je relève le gars en m’excusant de ma brutalité et en lui proposant de régler notre différent autour d’un bon café, il répond : oui, c’est trop bête de se disputer pour ça, il me tape sur le dos en riant et l’on devient les meilleurs amis du monde. Je l’invite même, quelques années plus tard, à mon mariage.
Réponse B : Je lui dis que voler, c’est mal, et que ses agissements ne sont pas dignes d’une personne de bonne conduite. Il baisse les yeux de honte et me promet solennellement que même s’il a faim, et même en manque, il n’agressera plus jamais personne. Je le rencontre des années plus tard. Il me dit que sa rencontre avec moi a changé sa vie, il s’est marié, a eu des enfants, une bonne situation...
Réponse C : Surpris et à la fois ravi de ma défense, il me propose une association avec lui, en me vantant les avantages d’une activité assez lucrative, peu contraignante et bien sûr, non soumise aux impôts et taxes. J’accepte avec joie, n’ayant rien à faire avant 10 heures, puis nous mettons au travail en nous postant tous les deux en contrebas d’une ruelle pour intercepter les joggeurs. Notre efficacité commune contraint trois victimes à lâcher leur téléphone. Mais un différent sur le partage d’un smartphone mettra fin à cette fructueuse collaboration, altérant la confiance et... Oh, zut ! Je crois qu’il se relève !
Désolé, mais je vais choisir la réponse D : Je cours comme un dératé pour ne pas le voir rappliquer lui et ses potentiels potes ! Tchao !
Arrivé à El Jadida, je me dis que je l’ai peut-être semé...
Plus tard, un ami Casaoui, à qui je raconterais mon histoire, a éclaté de rire. Pour lui, aller du coté d’El Hank à 5 heures du matin, c’était comme émettre de puissants phéromones voulant dire : « Braquez-moi s’il vous plaît, je suis en manque ! » ou « Qu’est-ce que vous attendez pour me voler mon téléphone, il faut vous supplier ici ou quoi ? »
La personne qui répondait naturellement à ce stimuli avait donc cru bien faire...
Mais pour l’heure, encore en sueur de ma course, c’est au conducteur de petit taxi que je raconte ma mésaventure. Je lui dis que Casa a une drôle de façon d’accueillir ses visiteurs... Il est en colère. Il me demande où il peut retrouver l’agresseur pour lui envoyer la police. Je lui dis que ce n’est pas la peine, qu’il ne m’a rien pris, à part 5 dirhams.
Je lui demande de me faire un tour de la ville. Il s’accommode de cette visite de bonne grâce. Le soleil est enfin levé, et de nombreux joggeurs parsèment l’avenue côtière qui se colore maintenant d’une lumière jaune. Il me montre la Corniche et ses clubs, la plage de Ain Diab, le beau quartier Californie ; nous repassons par les alentours du phare d’El Hank, par la mosquée Hassan II, nous longeons le Port de Casa. La Place des Nation-Unis, la grande Place Mohamed V et sa grande Poste. Enfin, je lui demande de me trouver un bon café ouvert à cette heure. Il m’y ramène et je le remercie chaleureusement.
40 dirhams sur le compteur. Il m’en demande 30...
7 h 35. Je suis donc assis à la Brasserie de Mers El Sultan. La boulangerie en face. La pharmacie principale. L’imprimerie-papeterie Idéale. Une place avec une sorte de poteau électrique au centre. J’attends que la ville se réveille.
J’ai choisi de m’attabler dehors, pour profiter de l’air matinal... Mais était-ce un bon choix? Je le vois arriver de loin. Et ce n’est pas difficile tant la place est encore déserte. Il marche, débraillé et chancelant, décrivant une trajectoire hésitante et aléatoire. Une trajectoire qui devient soudain rectiligne lorsqu’il m’aperçoit. Il se dirige vers ma table.
Lorsqu’il arrive à ma hauteur, il me regarde, empoigne ma tasse de café, la boit. Puis il s’éloigne comme si de rien n’était.
Bon. Je me sens, à cet instant même, une curieuse proximité avec un mollusque que l’on appelle le Bernard L’Hermite : je rentre à l’intérieur du café.
Après y avoir gagné une heure de sécurité, mon errance me conduit très vite dans un parc vers la Place Mohamed V. Couché sur un banc, j’attends que le temps passe jusqu’à mon rendez-vous. Il est à peine 8 heures 30... La fatigue me gagne, consécutive à une mauvaise nuit dans le car et au contrecoup de mes péripéties de l’aube. La tête appuyée sur mon sac à dos, je promène mon regard. Quelques personnes, clairsemées dans le parc, un groupe de trois jeunes, assis sur la pelouse un peu plus loin... Les rues commencent à se remplir timidement. Il y a de plus en plus de voitures sur les avenues. En haut, le soleil dépasse quelques toits. Je tourne la tête à nouveau. Les trois jeunes, toujours assis sur la pelouse, se sont rapprochés... J’essaie de me défaire de ce sentiment de suspicion, sans doute né de mes mésaventures... Je serre mon sac à dos. Je tourne encore une fois la tête. Il se sont encore rapprochés...
Bon. Paranoïaque ou pas, je me lève et quitte le parc. Je décrète alors une loi : fini les visites piétonnes avant une heure décente ! Lorsque 9 heures arrive, je me terre dans un cyber, en position latérale de sécurité, jusqu’à l’heure de mon rendez-vous...
Comme vous pouvez le constater, mes premiers contacts avec Casablanca n’ont pas été faciles. Car tout ce que je vous ai raconté ici m’est vraiment arrivé, le même jour et la même matinée.
Pourtant, j’ai eu l’occasion de découvrir, le jour même, et la même matinée, lorsque j’ai pu enfin retrouver mes amis, l’autre visage de cette ville : une Casa active, créatrice, moderne, bondée, occupée, vivante, immense. Du quartier Maarif à la Corniche, de Casa port à Ain Sebâa, j’ai pu ressentir, dans un contexte beaucoup plus serein, l’énergie brutale de cette ville. Une énergie née de ses contrastes presque vertigineux. De cette position symbolique entre le sommet économique et le précipice social.
En 12 heures ici, j’ai vu des tours majestueuses et des bidonvilles interminables, j’ai vu se côtoyer des zombies et des cadres. J’ai vu des personnes réduites à marcher le cerveau troué de rêves, à coté de ceux qui les fabriquent...
Et, dans ce train qui me ramène chez moi, je quitte la capitale économique un peu plus vieux, mais comblé.
Depuis, je suis toujours revenu avec plaisir à Casa.
Mais toujours après 10 heures du matin...
Mohamed Saïyd in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.
Lexique :
1. Imam : Guide religieux, personne qui dirige la prière collective.
12:57 Publié dans Bienvenue à Maroc Land! | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : maroc, maroc-land, casablanca, casa, humour, voyage