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16/08/2021

Décalage On air

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Et voilà : me revoici de retour en France. Et, il est rassurant de voir que rien n'a trop changé en mon absence... Car après une année passée à Maroc-Land, on ne peut pas en dire autant pour moi...

J'ai eu les pires difficultés à me réadapter. Et les premiers jours, ma rééducation n'a pas été facile. Je ne vous parle pas des automobilistes qui s'arrêtent pour me laisser passer quand j'ai envie de traverser, ou de l'absence de klaxons, vous ne me croiriez pas de toute façon...

En fait, j'ai surtout pris conscience de l'ampleur de la gravité de mon décalage lors de ma première visite à la boulangerie. Comme d'habitude, je rentre et me colle directement au comptoir, bousculant les gens et criant vers la boulangère :

-Un pain, que Dieu te Garde !...

Elle marque un temps d'arrêt. Elle ne semble pas comprendre.

-Pardon ? Fait-t-elle.

-J'ai dit un pain. Et dépêche toi, la famille m'attend pour manger.

-Heu... Oui, bien sûr... Mais vous savez qu'il y a une vingtaine de personnes avant vous ?

Je me retourne : une vingtaine de personnes qui me regardent, les yeux écarquillés.

-Oui, j'ai vu. C'est tout à votre honneur d'accepter les mendiants chez vous...

-Heu... Ces gens ne mendient pas, Monsieur... Ils achètent leur pain...

-Mais... Pourquoi ils restent derrière alors ? Ils ne vont jamais être servis !

-Tout le monde sera servi, Monsieur, détrompez-vous. Ils attendent juste leur tour... Ils font la file, me dit gentiment la jeune dame.

-La « File » ?... Quel est donc ce mot étrange ?...

-Et bien c'est simple : ce sont des gens qui attendent leur tour d'être servi suivant leur ordre d'arrivée dans la boutique.

Et là, mon monde s'écroule à nouveau... Je revois des flashs douloureux de mon passé, des images en vrac que je croyais avoir enfouies au plus profond de moi-même, pour ne plus les revivre : moi, faisant la file... Attendant patiemment mon tour... Une époque que je croyais disparue... Tout cela était tellement loin...

À Tanger, attendre son tour à la boulangerie, c'est comme attendre la Saint Mohamed en France. Entre la mère de famille qui vous met un coup de taille pour s'insérer entre le comptoir et vous ; la grand-mère qu'il faut laisser passer sous peine de se prendre un coup de canne, et les gamins qui se faufilent sous vos jambes pour passer devant vous, on est vite dépassé...

Autre handicap : la boulangère (qui est aveugle sans doute) se dirige à l'oreille. C'est celui ou celle qui crie le plus fort qui est servi. Un chanteur d'opéra se plairait au Maroc, tiens (Dôôôôôôônne moi une comirâââââââââ!!).

Autre endroit, autre décalage : le supermarché.

-Ça vous fera 27 euros et 55 centimes, Monsieur. Voici votre ticket.

-(Rire) Toi, si tu voulais me faire fuir, tu ne t'y serais pas prise autrement !

-Pardon ?!

-Allez, je te donne 10 euros, ça te suffit.

-Mais ?...

-Bon, allez, 15 euros. Mais n'abuse pas de ma générosité quand même !

-Monsieur, c'est inscrit sur le ticket 27 euros et 55 centimes, alors veuillez payer ce montant s'il vous plaît...

-Quoi ? Tu as vu les marges que tu te fais ? Tu marchandes bien avec les producteurs ! Et tu te fais bien des bénéfices de 50% sur mon dos ! Tu me prends pour qui ? Ça sera 15 euros, et je ne lâche pas un centime de plus ! Ne me fais pas des prix de touristes, j'ai toujours vécu ici moi !...

-Allo... Sécurité ?...

-Bon, tu ne veux pas comprendre ? Je laisse tout ici ! Tu crois que t'es le seul supermarché du quartier ? Je sors d'ici et j'en trouve dix des comme toi ! Jamais vu ça !

 

Bon, je ne vous cache pas que les jours suivants, je me suis peu à peu réadapté à mon nouvel environnement. J'ai arrêté de klaxonner aux feux rouges et de conduire comme un chauffeur de petit taxi. J'ai vite réappris qu'une cigarette ne se vendait pas à l'unité au bureau tabac, et ma tentative de donner 10 euros à un policier pour échapper à une contravention s'est très mal terminée...

Mais tout va bien, je me remets doucement de mon décalage on air.

 

Mohamed Saïyd (c)

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