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16/08/2021

Et si on changeait de sport national?

Maroc, Football, Humour, Tanger, Tétouan,

Bon, inutile de vous dire que lors de ce match Maroc-Egypte, en phase de poule de la Coupe d’Afrique des Nations 2006, j’ai eu envie, comme des millions de marocains, de casser la télé, d’envoyer voler une chaise par la fenêtre ou de bouffer la télécommande.

Dans ce café archi-bondé où je regarde le match, la foule présente tous les signes d’un stress profond : cris, sueurs froides à chaque avancée des adversaires, nausées devant une passe ratée, hurlements de dépit à chaque occasion manquée, troubles de la personnalité...

Il en est persuadé : à la place de Hajji, Ba1 Moh aurait réussi sa frappe en la plaçant juste sous la barre ! Le serveur, lui, aurait bien sûr croisé sa tête pour faire rentrer le ballon dans le petit filet. Fatma, elle (pourquoi les femmes ne seraient-elles pas concernées), aurait bien enchaîné son contrôle puis retourné acrobatique qui se serait logé en pleine lucarne...

Pourtant, rien. Une occasion pour les égyptiens, et c’est les marocains qui ratent à chaque fois une grande occasion... de faire leur valise.

Sous les cris de la cinquantaine de sélectionneurs assis devant un café qu’ils ne veulent plus boire, moustachus ou pas, jeunes ou plus âgés, riches ou pauvres, l’arbitre siffle le coup de sifflet final... Chacun s’en ira alors en maugréant, certains secouant la tête, d’autres ironisant en direction des joueurs : « Allez ! Ramassez vos jouets et rentrez chez vous ! ».

Les rues, presque vides auparavant, se rempliront tout d’un coup d’une foule dense et de murmures, analyses désabusées sur un match un peu nul...

 

Pas de Coupe du Monde 2006, une CAN 2006 quasi-ratée... Devant une telle débâcle, je me pose la question : puisque le football ne nous réussit pas et qu’il ne nous rend pas heureux, pourquoi ne changerions pas de sport national ? Pourquoi ne pas investir dans un jeu où nous serions imbattables, comme le lancer de déchets sur terrains vagues, la traversée de rues... Ou notre deuxième sport national : la drague ?

Ça serait d’ailleurs agréable à regarder ça, avec deux commentateurs experts :

– Bonne phase de jeu de Mounir qui rentre dans l’aire de séduction de Mouna... Il s’approche de la surface de déclaration...

– Superbe « sssss » !

– Oui, Mounir possède une assez belle technique. Son « sssss » est à la fois efficace et élégant...

– Mounir récupère le numéro de téléphone de Mouna... Mounir... Qui passe le numéro à Soufiane... Puis à Rédouane... Qui renvoie le numéro à son coéquipier...

– Bon enchaînement... Nous assistons à une bonne séquence de jeu de l’équipe, là...

– Daoud, qui passe à Anas... Anas qui passe à Tarek...

– Oh, attention, Tarek qui téléphone... ça sonne... Il parle et... Ooooh !! INCROYABLE !!

– Quelle occasion incroyable !...Comment on peut rater ça franchement !...

– Et oui ! Tarek a manqué une occasion incroyable d’embobiner Mouna !!...

– C’est pas professionnel ça !... Comment peut-on oublier les bases de ce que l’on apprend à l’entraînement ?

– Tout à fait ! Le joueur a manqué son contrôle en se trompant sur le prénom de la jeune fille... Mais à la décharge de Tarek, Mouna avait une bonne défense. Il faut dire qu’avec 54 déceptions, la jeune femme dispose d’une charnière expérimentée.

 

Il y a aussi un sport où les marocains pourraient avoir de belles chances d’être champion du monde :

– Farid est esseulé dans la surface de l’administration... Personne ne le charge... Il semble que les deux équipes s’observent...

– Tout à fait... Farid s’approche de l’Accueil... Il demande des renseignements concernant le paiement d’arriéré de taxe... Il veut se renseigner sur les modalités et les aménagements possibles...

– Bonne récupération de l’Accueil, qui passe au Bureau des Admissions...

– Le Bureau des Admissions, qui fait la passe au Guichet Fiscal...

– Guichet Fiscal au Service Cadastre... Guichet D qui s’intercale dans l’intervalle... Il rejoue avec le Service Cadastre...

– Bonne séquence de jeu de l’équipe, là, ça joue en passes courtes, c’est fluide...

– Oui, Guichet D qui a récupéré Farid et qui renverse le jeu vers le Service Photocopies...

– Service Photocopies qui remet à Service Légalisation, qui remet en retrait à l’Accueil...

– Ah, il va y avoir un changement du coté de l’Administration... Chaouch2 Hmed prend la place de l’Accueil...

– Oui, l’Accueil qui n’était pas en jambe et qui n’a pas pesé sur le jeu...

– Son remplaçant passe déjà à l’action. Belle prise en main de Chaouch Hmed.

– Oui, Farid essaie de passer mais Hmed offre une belle résistance... Belle défense du joueur.

– Oulah ! Les esprits s’échauffent sur le terrain ! Il y a une grande discussion entre Mourad et son adversaire ! Une lutte féroce s’engage... Aucune des deux parties ne veut céder... Mais Hmed prend un bel avantage...

– Oui... Attention ! Hmed s’approche de la surface de rémunération...

– Il passe les derniers obstacles... il s’approche et... Goooooaaaaaaaal !! Superbe action !! Hmed a réussi à soutirer cinquante dirhams à Farid !!

– Incroyable ! On repasse l’action au ralenti !... Une action superbe...

– C’était pas évident...

 

Ce ne sont que des suppositions innocentes... Mais à y réfléchir, je ne crois pas que ce soit une bonne solution... Même dans ces deux sports, nous risquons bien de faire match nul contre l’Égypte...

 

Mohamed Saïyd. in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.

 

Lexique :

11. Ba : Père. Cette locution désigne en général un homme âgé.

2. Chaouch : personnel de service d’administration.

Parasol Odyssey

Maroc, Plages, Vacances, Ecologie, Humour

 

Chaque année, à la même période, les plages marocaines deviennent l’abri d’une vie foisonnante, variée et colorée, dont l’équilibre précaire intrigue les chercheurs du monde entier. En effet, lorsque l’été arrive, de nombreuses espèces envahissent soudain les littoraux qui deviennent alors l’enjeu d’une lutte de pouvoir et de territoire sans merci. Ce phénomène, qui n’est bien sûr pas unique dans le monde, prend tout de même une tournure assez étrange sur les côtes de Maroc-Land.

Je vous propose donc de partir en observation de cette faune à part, à la découverte de cet écosystème unique au Monde.

Le premier à envahir la plage dès le matin, est une espèce que l’on appelle communément le Bronzorus-Relaxus. Choisissant son lieu de niche en fonction de la proximité de la mer, de la force du vent ou de la qualité des sols, il plante son parasol dans le sable, marquant fièrement par ce geste son territoire.

Le Bronzorus est un mammifère paisible, docile et paresseux. Sa principale activité est de paître tranquillement au soleil, dans une position couchée qu’il ne quitte que pour refroidir son corps de temps à autre dans l’eau de la mer. Les chercheurs ont longtemps tenté de percer le mystère de cette station prolongée au soleil, malgré les dangers évidents pour leur épiderme inadapté. De nombreuses théories circulent, dont certaines avancent que cette lumière est transformée par la peau en une couverture brune qui sert ensuite à la parade amoureuse de ces mammifères, le soir, sur la Corniche, ou au mois de septembre, au travail. Mais cela paraît très fantaisiste.

Quoiqu’il en soit, pour nicher dans le sable, le Bronzorus et sa famille ont besoin de calme et d’un minimum d’espace.

Mais la vie à la plage n’est pas de tout repos, surtout lorsque l’on a des prédateurs naturels...

Le premier d’entre eux, le Footballocus-Piétordus, est une espèce très dévoreuse d’espace. Particulièrement tenaces et nuisibles, ces prédateurs, qui évoluent toujours en groupe, lancent sur les Bronzorus affalés des ballons durs qui viennent claquer sur leur peau, ainsi que du sable, en émettant des cris de contentement primaux.

Un autre prédateur, le Fumus-Parasolus, ou plus communément le Fumeur des Parasols, est lui un animal toxique dont la technique consiste à expulser la fumée de ses cigarettes ou de ses joints sur ses proies alentours, créant ainsi autour de lui un espace plus large, qu’il peut reconquérir. Dans le même esprit et pour le même but, l’Écouteur de Transistor déverse à fort volume une mélasse musicale qui éloigne tout être vivant à deux mètres.

Mais d’autres ennemis guettent : là-bas, le torse bombé, le ventre rentré et les muscles saillants, le Dragueur des Sables marche le long de la plage à la recherche d’une proie. Ces prédateurs aux yeux perçants peuvent chasser en solitaire, mais il n’est pas rare qu’ils traquent leur proie en meute, en émettant des sifflements et des ricanements distinctifs. À leur passage, les femmes, tout en évitant tout contact visuel, se cachent derrière leur parasol, se camouflent ou s’enfouissent rapidement dans le sable, se déterrant prudemment, avec mille précautions, lorsque le danger est passé... Se croyant hors de portée, elles ne voient alors pas un autre prédateur, à l’affût lui-aussi, mais bien plus discret...

Au contraire de l’expansivité naturelle de son cousin le Dragueur, le Pervers des Plages, lui, reste tapi dans l’ombre, immobile, les sens en éveil, bien caché de ses proies... Ses deux yeux sont indépendants, semblables à ceux du caméléon, pour ne rien rater des peaux nues qui s’offrent à lui et qui constituent son principal repas...

À une plus petite échelle, la plage, c’est aussi la discrétion de créatures que l’on devine à peine. Une vie insoupçonnée mais nécessaire, invisible pour beaucoup, sauf à qui sait observer...

Ainsi, les Épluchus-Pastéqus, enterrés en longueur dans le sable, paissent tranquillement au soleil, libérant une odeur qui repousse les prédateurs.

À quelques pas de là, leurs cousines, les Épluchus-Melonius, sont regroupés en bancs compacts tout au long du rivage. Au dessus d’elles, le ballet aérien des Sachets de Gaufrettes virevolte au hasard du vent, tandis qu’au sol, une Bouteille d’eau minérale vide roule gaiement sur les bosses du sable mouillé, heurtant au passage le château d’un enfant qui essaie de l’attraper au vol. Les Paquetus-Cigarettus, étourdis par la chaleur, s’ensablent lentement, à coté d’une colonie sauvage de Carcasses Roses de Yaourtus qui assèchent leurs bords coupants.

Car oui malheureusement, ces espèces ne sont pas toutes pacifiques : Les Épluchus-Figues-de-Barbarus, elles aussi à demi ensablées, dressent sur leur dos de terribles épines qui n’attendent que leur proie. Et tandis que les Mégots Sauvages traînent leur cendre vers les vagues, l’immense colonie des Coques de graines de tournesols, balayée par la brise marine, se perd vers un lieu maudit de la plage, un endroit qu’aucune espèce ne veut approcher... Car c’est là, tapie au fond de son trou, que se cache le repère d’une terrible créature. Une créature que tout le monde craint et que personne ne veut réveiller : la Couche Sauvage...

 

Brisant soudain l’apathie lourde de l’après-midi, un bruit lointain met le peuple de la plage en alerte. Un bourdonnement sourd approche, doucement. Puis de plus en plus fort. Jusqu’à devenir assourdissant... Tout le monde l’a bien compris. La terreur arrive par la mer : Une meute de Jet skis Fuselés arrive en trombe et fonce vers les estivants ! Fendant l’eau en deux, ils provoquent la panique des baigneurs qui s’enfuient de tous les cotés.

Les plus chanceux ont le temps de regagner la terre. Les autres plongent la tête sous l’eau pour ne pas être heurtés. Mais les Pédalos Marins, qui n’ont pas prévu cette attaque à temps, empesés dans leur lourdeur, sont pris au piège. Ils tentent désespérément de manœuvrer au milieu des vagues provoqués par ces monstres mais, ballottant de tous cotés, ils se retournent un à un. Ils font alors des proies toutes rêvées...

Par chance, ignorant les pachydermes, les Jet skis ont déjà repéré leur victime. Ils encerclent un nageur esseulé et inexpérimenté qu’ils agrippent à l’unisson en l’entraînant vers le large. Ils laissent derrière eux une mer dévastée, agitée, emplie de nageurs désorganisés qui se débattent dans une fumée blanchâtre et une forte odeur d’essence...

L’agitation a aussi gagné la plage car dans sa fuite, un petit Bronzorus qui courait vers le parasol de ses parents, tombe dans le piège des Figues de Barbarie. L’enfant s’effondre en pleurant et en se tenant le pied. En voulant le secourir, d’autres Bronzorus accourent et tombent dans le même piège... Mais le comble de l’horreur n’était pas encore atteint... Un tumulte vient cette fois de l’autre coté de la plage. Des cris retentissent puis soudain, une dizaine de Bronzorus s’enfuit dans le désordre le plus total. Que se passe-t-il donc ? Pourquoi cette panique ? L’explication ne se fait pas attendre... Un enfant arrive... Il tient dans sa main la Couche Sauvage qu’il a déterré de sa tanière...

Profitant de cette confusion, et après deux cents allers retours le long de la plage, la patience du Dragueur des Sables semble enfin récompensée : une jeune adolescente inexpérimentée, et qui n’était pas concentrée, l’a regardé dans les yeux plus de deux secondes. Le prédateur fond aussitôt sur sa proie en lui assénant un violent : « Salut, comment ça va ? Tu viens souvent ici ? »

Sonnée par cette attaque, la jeune femme essaie de s’extraire à sa vue en évitant la discussion. Elle tente d’éviter tout contact visuel, comme on le lui a appris... Mais c’est trop tard. Le Dragueur n’entend pas lâcher le fruit d’un si dur labeur aussi facilement : « Je connais très bien cette plage, il y a des endroits vraiment magnifiques... Ça te dirait d’aller voir ?... » Une lutte terrible s’engage. Devant la résistance de sa proie, le Dragueur ne s’en laisse pas compter et frappe les points faibles : « Si, si, je t’assure, le Centre Commercial n’est même pas à cinq minutes à pied d’ici... Et il y a des soldes incroyables... »

Sa concentration à sa tâche lui fait cependant prendre des risques. En effet, le prédateur naturel du Dragueur des Sables est là, juste derrière lui maintenant... Lorsqu’il entend le grognement du père de famille, il détale sans demander son reste, en poussant des cris de détresse...

Ces mésaventures commencent d’ailleurs à titiller quelque peu le flegme légendaire des Bronzorus...

Alors quand le ballon d’un Footballocus vient heurter pour la énième fois le flanc d’un des leurs, ils commencent à en avoir ras le short ensablé. Ils encerclent les prédateurs qui deviennent maintenant les proies d’une foule rouge de colère et d’une trop longue exposition au soleil sans crème. Et dans ce renversement des rôles comme seuls peuvent les favoriser l’exaspération générale mêlée à l’esprit de meute, on ne distingue plus maintenant qu’une foule compacte agglomérée en boule sur les malheureux maladroits. De cette scène d’horreur et de cris, ne réapparaît qu’un ballon crevé...

Bientôt, lentement, le calme reprend ses droits. Après avoir chassé la plupart de ses prédateurs naturels, la plage redevient un espace sous la domination des paisibles Bronzorus. Et l’agitation laisse maintenant place aux rires, aux cris des enfants qui s’éclaboussent, et au repos bien mérité. Témoins de cette paix retrouvée, dans l’eau, des dizaines de Sacs Plastiques Sauvages, de toutes les couleurs, nagent mollement et gracieusement en bancs compacts, enroulant les pieds des baigneurs dans un ballet magnifique...

Le soleil décline lentement, les ombres s’allongent. Et tandis que ce beau tableau prend une belle teinte orangée, une inquiétude nous prend... Ce spectacle est-t-il menacé ? Assiste-t-on aux dernières manifestations d’une vie que nous avons toujours connu sur nos littoraux, en été ?

Les marocains commencent en effet à nettoyer leurs plages et par cette action, font disparaître une faune qui faisait le charme de ces espaces. Les conséquences désastreuses de ces comportements se font déjà sentir... La population des Épluchus décline. Celle des carcasses de Pots de Yaourt suivent malheureusement la même évolution. Pouvons-nous laisser faire cela ?

Heureusement, la grande majorité de nos concitoyens continuent, avec une belle énergie, d’entretenir cette vie fragile.

 

Mohamed Saïyd - in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.

 

 

Klaxon City

Maroc, Klaxons, Tanger, Tétouan, Humour, Voitures

 

 

L’une des choses qui frappe le plus lorsque l’on débarque ici, c’est l’omniprésence du klaxon. Dans n’importe quelle ville du Maroc, du centre à la périphérie, la vie urbaine ne semble résonner que de cet instrument à la sonorité douteuse, utilisé pour n’importe quelle situation :

« Tu n’arrives pas à prévoir 1,74 secondes à l’avance que le feu va passer au vert ? Coup de klaxon ! »

« Tu oses traverser la rue, vil piéton, alors qu’il y a un feu qui est fait pour toi 15 kilomètres derrière ? Klaxon ! »

« Tu ne mets pas ton clignotant quand tu tournes ? Quoi ? Moi aussi je ne le mets pas ? Et alors ? C’est ton problème ?... Klaxon ! »

« Tu oses être belle alors que c’est interdit par la loi ? Klaxon ! »

« Tu marches tranquillement sur ton trottoir et tu ne fais rien de mal ?... (Moment de réflexion) C’est louche : Klaxon ! »

J’ai longtemps cru que cette mauvaise habitude des conducteurs traduisait un sentiment de frustration latente qui devait s’évacuer par cette pression facile de la paume sur l’instrument d’alerte. Bien protégé dans cette carrosserie qui le coupe de l’extérieur et le dispense de toute civilité, je pensais que le marocain lambda était un mufle quand il conduisait...

Mais ce que j’avais pris pour de l’agression gratuite au début, est en fait un trait culturel que j’ignorais jusqu’alors : Hé oui. Le Klaxon est la deuxième langue officielle du Maroc. C’est une langue avec ses codes, ses règles, sa grammaire.

Je m’en étais aperçu lors de mes déplacements entre Tanger et Tétouan... Je faisais signe à une voiture qu’elle pouvait me dépasser sans danger, et le conducteur s’exécutait en me remerciant par deux coups brefs de klaxon qui voulaient sûrement dire : « Merci, cher conducteur à l’allure de grand-père. Votre attention est tout à fait délicate et je vous en remercie. »

Dès lors : révélation. Tout un univers s’ouvrait à moi.

C’est en effet avec le temps que j’apprendrai qu’un long klaxon envers les passants qui traversent ne voulait pas forcément dire : « Cassez-vous de mon chemin, misérables vers de terre ! Cette route a été achetée par mon père ! » Mais plutôt : « Siérait-il à vous, aimables piétons, de hâter le pas pour que je puisse faire passer mon humble carrosserie sans risque de vous heurter ? »

Idem pour les coups de klaxon à un feu rouge. Longtemps resté dans l’ignorance de la langue, j’ai longtemps cru que cela voulait dire : « Mais tu vas bouger ta carcasse ?! Tu crois que j’ai que ça à faire, espèce de [Pastille de censure de niveau 5] !

Après vérification, la traduction exacte de ce type de klaxon était : « Je tenais à vous informer personnellement, Ô humble co-véhiculaire, que le feu de circulation était passé depuis 0,0095 secondes dans la teinte dite émeraude, et que ce serait très appréciable si vous daigniez (mais j’abuse peut-être) avancer. »

Quelques fois, j’avais cru que deux personnes se disputaient en se klaxonnant dessus à tout va. En fait, tout cela était l’ébauche d’une discussion construite :

Klaxon 1 : Désolé, cher Monsieur, de m’être trouvé sur votre chemin lorsque vous déboîtâtes tout d’un coup devant moi. Le remord et la confusion me rongent.

Klaxon 2 : Cette confusion est d’abord mienne, humble collègue, puisque je me trouvais sur votre voie lors de mon déboulé intempestif.

Klaxon 1 : Laissons donc cela. Nous avons évité le pire et il serait désormais avisé, en gentlemen, d’être plus vigilants la prochaine fois.

Klaxon 2 : Oui, vous avez tout à fait raison. Vous savez, je ne suis pas comme ça d’habitude... Mais j’ai des problèmes personnels aujourd’hui... Notamment avec ma femme...

Klaxon 1 : Allez ! Dites moi tout... Commencez par le début... Euh... Attendez, on arrive au rond-point de la Ligue Arabe, le Parlement klaxonien de la ville, alors on ne va pas trop s’entendre là...

 

Langage complexe, le klaxon est fait de nuances, de tons, d’élans qui rendent son vocabulaire plus riche qu’on ne le croit. Tout cela demande une certaine maîtrise. Un temps trop long et toute la phrase change. Une pression plus accentuée sur l’instrument et la prononciation n’est plus la même. Je débute à peine mais je commence à faire de gros progrès. J’arrive par exemple péniblement à prononcer quelques bribes de phrases : « Voulez-vous avancer, s’il vous plaît ? » ; « Attention chers piétons, j’arrive. » ou « Veuillez sortir de sous mes roues, vous abîmez mes amortisseurs. »

J’ai encore beaucoup de progrès à faire pour atteindre un bon niveau. Mais j’ai de la chance : les conducteurs marocains sont de très bons professeurs.

 

Mohamed Saïyd. in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.