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16/08/2021

Super Héros Locaux (Extrait)

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Il faut le reconnaître, nos rues sont parfois dangereuses et mal famées : des incivilités, des insultes, des bagarres d’ivrognes, des voyous qui rackettent les portefeuilles et les portables au couteau, des gens qui jettent leurs déchets dans les poubelles appropriées...

Tout cela crée un sentiment de peur et d’insécurité qui pèse sur les honnêtes citoyens... Enfin honnêtes... Sur les citoyens qui volent le moins quoi...

Et devant ce triste constat, une urgence s’impose : la ville a besoin d’un justicier, d’un super héros capable de lutter contre le crime et de ramener l’ordre, la tranquillité et l’espoir à tous ses habitants.

Répondant à cette attente, la Municipalité a rapidement lancé un appel d’offres pour embaucher un super-héros d’expérience, reconnu dans le secteur, et disposant de très bonnes références à l’international.

Ainsi, longtemps pressenti, SuperMan©, un peu en fin de carrière aux États-Unis, a finalement décliné l’offre : le salaire de 6.000 dirhams ne convenait pas selon lui à son standing.

Hulk©, qui lui avait accepté, a été débarqué en catastrophe. Il causait d’énormes dégâts et détruisait tout sur son passage : tout l’énervait au Maroc.

Un peu moins connu sauf des spécialistes, le Surfeur d’Argent© passait malheureusement plus de temps au Cap Spartel que sur le terrain.

Et l’enthousiasme provoqué par l’arrivée en grande pompe de son remplaçant, SpiderMan©, fut vite déçu. Après quelques semaines de travail, il commençait déjà à s’adapter aux mœurs locales et à demander systématiquement 50 ou 100 dirhams pour intervenir auprès des victimes.

Devant ce constat d’échec, pourquoi ne pas se tourner vers nos super-héros locaux ? Car des femmes et des hommes avec des supers pouvoirs, ce n’est pas ce qui manque à Maroc-Land, bien au contraire.

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Mohamed Saïyd in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.

Zéros Sociaux (Extrait)

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Le développement du haut débit a démocratisé à grande vitesse l’usage de l’Internet dans notre pays. Désormais à portée de téléphone, des applications comme Facebook©, Twitter©, Instagram©, Snapchat© et tant d’autres, ont transformé durablement notre façon de communiquer avec les autres.

Mais ce que l’on sait moins, c’est que bien avant ce déferlement, notre pays était à la pointe dans ce domaine. Les concepteurs de l’Internet 2.0 se sont tous en effet inspirés des modes d’interactions dans un village campagnard du Nord du Maroc, en reprenant à leurs comptes des algorithmes que nous n’avons pas eu l’indécence d’exploiter... Il est donc grand temps de corriger cet oubli.

Facebook© par exemple, est l’ancêtre d’une application très en vogue à la fin des années quatre-vingt-dix dans ce même village, alors à la pointe dans cette discipline que l’on appelle la « Tberguigologie »1. Cette application, qui s’appelait alors Fdah Bok2, permettait d’afficher, à la vue de tous, ses humeurs, ses états d’âme ou ses réflexions... On a d’ailleurs retrouvé, dans les limbes d’internet, des preuves de cet ancêtre, comme ce fil d’actualité que l’on a déniché de cette époque :

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Mohamed Saïyd in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.

 

Lexique : 

1. Tberguigologie : De « Tberguig », qui désigne l’art du du commérage, de la curiosité pour la vie d’autrui.

2. Fdah Bok : Des mots « Fdah », dévoile, et « Bok », ton père.

Ciné Tanger

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Chaque année, le Festival National du Film s’invite à Tanger durant une semaine. Mais la Perle du Détroit est loin de se reposer sur ses lauriers le reste de l’année. Sous la direction d’un réalisateur perfectionniste et exigeant, la ville commence sa journée tôt le matin :

« Allez ! Allez ! On se dépêche, on se met en place ! Je veux le silence complet sur le plateau !... Allez ! Un peu de concentration !... C’est bon, tout le monde est prêt ?

Bon scène 1 : Le groupe F, venez par ici... Je vous explique le topo : vous êtes de pauvres gens sans boulot, qui regardez passer la vie... Une vie qui passe sans vous, qui se passe de vous. Vous êtes assis toute la journée sur ce rebord, et il faut que vous ayez l’air partagé entre la résignation souriante, la fatigue, et l’envie brûlante de tout casser... Il faut que l’on sente dans votre regard cette envie, ce spasme de tout prendre, cette envie muselée de vivre !... Vous avez compris ? Restez dans cette posture le temps que je revienne... Bon, Mounir, sois sérieux ! C’est quoi ce sourire stupide ? J’ai dis « résignation souriante », n’en rajoute pas ! Faites votre boulot les gars !... Voilà... Ne bougez plus...

Pour la scène 2, j’ai besoin du groupe D... Venez par là, vous... Vous connaissez la scène les gars, vous êtes les métiers précaires : Toi, Mohcine, t’es le cireur de chaussures, tu connais ton rôle... Voilà, c’est ça : claque les deux bois entre tes mains en passant de café en café... Il est où le vendeur de cacahuètes et de graines de tournesol ?... Il n’est pas encore là ?! C’est pas sérieux ça !... Bon, Omar, tu le remplaces... Toi, le vendeur de cigarettes à l’unité, tu te postes au premier plan... Voilà... Tu transvases discrètement les cigarettes de mauvaise qualité dans les cartouches de cigarettes américaines... Et les mendiants ? Ils sont où mes mendiants là ? Ah, très bien... Bon écoutez bien tous : vous êtes assis aux alentours de la gare routière. Il faut qu’on lise sur vos visages la dureté impitoyable de la vie. Faire ressentir aux spectateurs que gagner 20 ou 30 dirhams par jour est pour vous le comble du bonheur... Je compte sur vous pour intérioriser ça.

Scène 3. Caméra 2, fais un gros plan sur Abdellah. Viens par ici, mon gars... Toi, tu vas jouer le garçon de café exploité... Écoute bien ton rôle : t’es un gars qui travaille de 7 heures du matin jusqu’à 23 heures, pause entre 13 heures et 16 heures, pour un salaire de mille dirhams, hors pourboires. Faut que ça se lise dans ton regard !... Tu souris aux clients, mais à l’intérieur, t’en as marre, t’as envie de changer de métier, d’aller voir ailleurs... Et t’as envie de lui envoyer son café à la gueule, au client, quand il te dit qu’il le trouve imbuvable et qu’il te demande de lui en ramener un autre en te parlant comme à un moins que rien... Il faut bien que sur ton visage, se lise cette contradiction entre fatigue de la vie et obligation de paraître... Mouais, tu peux mieux faire quand même... Hé ! Le perchiste, plus haut la perche, elle entre dans le champs !

Scène 4. On va faire les scènes de cascade. Les petits taxis et les voitures, vous vous préparez s’il vous plaît, vous savez combien cette scène est dangereuse... Ça se joue à quelques centimètres. Taxi 1 jusqu’à 300, vous devez circuler dans la ville, freiner sec, repartir, éviter les voitures et les piétons de peu. Vous devez prendre le plus de clients possibles en un temps limité, parfois au péril de votre sécurité et de celle de vos clients. Il faut bien que l’on ressente cette relation charnelle avec le temps dans vos yeux. Il faut que l’on sente qu’en vous reposant à peine un quart d’heure, vous mangez le bénéfice d’une demi journée. Faut que le public y croit, on compte sur vous.

Scène 5. Un portrait intimiste. Caméra 3 : Gros plan sur le visage de Larbi... Toi, tu fais l’employé de bureau. Je veux que tu penses ton rôle à fond : tu es le maillon d’une énorme machine qui ne roule pas sans huile, et tu comptes bien en profiter. Tu as payé chèrement ta place et tu dois la rentabiliser, parfois sur des années. Tu as une femme, des enfants, un standing à perpétuer. Oh, tu te dis que tu n’es pas grand chose, que tu ne fais que rendre des petits services. Et puis, il faut bien vivre... Chacun se débrouille comme il peut. Tu n’es que le petit matelot d’un navire en perpétuel naufrage, sauf que tu as eu l’intelligence de prendre place dès le départ sur le mat. Le manque à gagner pour les caisses ? Tu n’es pas responsable à toi seul de la ruine du pays, tu n’as pas cette prétention. Tu ne fais que prendre à la base, un peu, dans ce beaucoup que tu vois passer sous tes yeux. Et puis quoi, c’est tout un système ! Qu’est-ce que tu y peux, toi ?

Voilà ce que je veux que tu penses. C’est bon ? Bien intériorisé  ?

Scène 6. Les enfants ? Arrêtez de jouer là... Vous êtes prêts ? Vous avez tous vos mouchoirs sur la bouche ? Vous, je veux que vous investissiez en groupe la Médina et les alentours du port... Le maquilleur, rajoute un peu de terre sur le visage du gosse là... Voilà... Bon, écoutez moi : vous êtes des enfants de rue. Je veux que vous soyez comme un fleuve en crue : libres, sans attaches, et se déversant dans les rues où il vous arrive mille péripéties. Il faut que ça fasse vrai...

Scène 7. Un plan panoramique de la ville... Toutes les scènes précédentes ensemble. Tout doit être coordonné... Voilà... C’est bien, très bien ça... ça défile bien...

C’est bon, coupez ! On éteint les lumières, c’était parfait ! »

 

Après une journée harassante de tournage, tous les acteurs peuvent enfin quitter le plateau et rentrer chez eux. En enlevant son costume de vendeur de friandises, un acteur vient trouver son autre ami acteur :

– Dure journée aujourd’hui, hein ?... Le réalisateur n’y a pas été de main morte pour cette scène...

– Oui... Et dire qu’il faudra rejouer cette scène demain... Le lendemain... Et encore le lendemain....

– Tu parles... Faut vraiment être tordu pour écrire des scénarios pareils...

 

Mohamed Saïyd in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.