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16/08/2021

Kasbah Folies

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Il est des choses qu’il faut absolument connaître si l’on veut survivre dans ce monde à part qu’est la Kasbah de Tétouan... Et l’une des plus importantes de ces règles de survie, c’est de ne jamais aller chez le coiffeur pendant un match de Liga où joue le FC Barcelone. Encore moins quand le Barça perd...

Ce sont des petites choses comme ça, dont l’on n’a pas conscience, mais qui peuvent parfois nous tirer d’un mauvais pas, comme de se retrouver par exemple avec une coupe de chèvre...

La première mi-temps s’était pourtant passée normalement : le coiffeur, en plein dans son match, faisait juste quelques tacles latéraux sur mon cuir chevelu avec sa tondeuse. Il a tout de même brisé une bouteille de shampoing sur ma tête lors du premier but des adversaires du Barça, mais rien de bien méchant. À la mi-temps, il me restait encore quelques touffes de cheveux... Mais je nourrissais une légère crainte pour la deuxième mi-temps : il devait me raser...

En fait, pendant un match de foot de Liga, c’est toute la médina qui subit un bug général. Une sorte de communion étrange, une transe...

Le boulanger, les yeux plantés dans sa télé, vous met 10 pains dans votre sac et vous rend 100 dirhams sur la monnaie de 20. Le boucher hache menu sa balance, la pèse sur un gigot et vous met le tout dans un sac plastique. Le cafetier vous sert une poignée de feuilles de thé dans lequel il a fait infuser un verre. Le marchand de fruits et légumes, qui n’a pas de télé et qui lorgne sur celle du marchand d’épices à coté, pèse les oranges sur le dos d’un chat errant, puis vous met ce même chat dans votre panier. Le vendeur de fromages frais vous entarte si vous avez la mauvaise idée de vous présenter devant son comptoir au moment où son joueur préféré est fauché par un joueur adverse. Le vendeur de sandwichs, hypnotisé par les passes rapides du jeu en triangle des blaugranas, ouvre le pain en deux, y glisse de la mayonnaise, de la salade, des olives, une armoire, des frites, puis vous l’emballe. Même le vendeur de volailles vivantes, le nez collé à l’écran de télévision, ne remarque pas l’évasion des poulets qui ont creusé un tunnel.

Lorsque le match est terminé, tout revient doucement dans l’ordre, c’est à dire dans le désordre. Car la Kasbah est un monde à part... Officiellement, c’est un monument, et non un asile comme tout porterait à le faire croire. Beaucoup de guides touristiques le soulignent : la kasbah de Tétouan est l’une des plus belles du Maroc, reconnue même patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco. Mais c’est aussi l’une des plus méconnue. Le vendredi, les quelques cars en provenance de Sebta qui amènent leur lot de touristes espagnols, ne démentent pas ce constat... Les autres ratent sans doute quelque chose.

Car chaque jour passé ici vaut 10 épisodes d’une série comique. Les gens qui vivent à la kasbah sont plein de vie. Ceux qui la fréquentent sont truculents. Les enfants qui y habitent sont déjà des pros de la répartie. La rue est bruyante : cris des vendeurs, discussions animées, marmonnements des fous, plaintes des mendiants, rires des folles, quelques disputes, la clameur des porteurs qui fendent la foule par des « Balak ! Balak !1 »

Assis sur les marches de la maison, je peux passer des heures à observer la foule qui passe, tel un fleuve, dans ces dédales de voies étroites où les gens se coincent les corps. Cette foule aux mille couleurs, aux mille odeurs, aux mille cris comme disait Joseph Kessel... À coté, le cafetier, un vieillard édenté à la voix éraillée, me prépare un thé à la menthe, le meilleur que je n’ai jamais siroté (Bon j’avoue, il m’a menacé avec sa matraque pour que j’écrive ça... Il a toujours une matraque derrière son comptoir pour calmer les clients un peu trop bruyants...). Le vendeur de menthe crie à qui veut l’entendre : « 50 centimes, et le sac plastique gratuit ! » Des femmes de la campagne, des jebliyas, chapeau de paille à guirlande et serviette rayée autour de la taille, occupent chaque pan de murs et déposent à même le sol, sur une toile, des légumes récoltés la veille. La mendiante attitrée du quartier harcèle les clients qui reçoivent leur monnaie. On dit qu’elle en est à la construction de sa troisième maison...

Pas de voitures. Pas de barrières. Ici, un homme vaut un homme et le regarde en face. Qu’il soit riche ou pauvre, propriétaire ou ouvrier, policier ou filou, gros ou maigre, pieux ou damné, estropié ou bien portant, chacun se croise sans vitre, sans différence. Les murs étroits de la médina enserrent les corps et mélangent chacun, les confrontant à la diversité, à l’échange.

Écouter la respiration incessante des murs, de ce cœur de pierre dont le sang est les gens. Pierres vivantes car chargées des paroles de ceux qui la parcourent. Une clameur, des rires et quelques insultes. Une douceur qui caresse la ville au crépuscule et une odeur de pain chaud...

Assis sur les marches de la maison, je me dis que c’est peut-être pour ça que j’aime la kasbah de Tétouan...

 

Mohamed Saïyd in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.

 

Lexique:

1. Balak ! : Attention ! Poussez-vous !

Et si on changeait de sport national?

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Bon, inutile de vous dire que lors de ce match Maroc-Egypte, en phase de poule de la Coupe d’Afrique des Nations 2006, j’ai eu envie, comme des millions de marocains, de casser la télé, d’envoyer voler une chaise par la fenêtre ou de bouffer la télécommande.

Dans ce café archi-bondé où je regarde le match, la foule présente tous les signes d’un stress profond : cris, sueurs froides à chaque avancée des adversaires, nausées devant une passe ratée, hurlements de dépit à chaque occasion manquée, troubles de la personnalité...

Il en est persuadé : à la place de Hajji, Ba1 Moh aurait réussi sa frappe en la plaçant juste sous la barre ! Le serveur, lui, aurait bien sûr croisé sa tête pour faire rentrer le ballon dans le petit filet. Fatma, elle (pourquoi les femmes ne seraient-elles pas concernées), aurait bien enchaîné son contrôle puis retourné acrobatique qui se serait logé en pleine lucarne...

Pourtant, rien. Une occasion pour les égyptiens, et c’est les marocains qui ratent à chaque fois une grande occasion... de faire leur valise.

Sous les cris de la cinquantaine de sélectionneurs assis devant un café qu’ils ne veulent plus boire, moustachus ou pas, jeunes ou plus âgés, riches ou pauvres, l’arbitre siffle le coup de sifflet final... Chacun s’en ira alors en maugréant, certains secouant la tête, d’autres ironisant en direction des joueurs : « Allez ! Ramassez vos jouets et rentrez chez vous ! ».

Les rues, presque vides auparavant, se rempliront tout d’un coup d’une foule dense et de murmures, analyses désabusées sur un match un peu nul...

 

Pas de Coupe du Monde 2006, une CAN 2006 quasi-ratée... Devant une telle débâcle, je me pose la question : puisque le football ne nous réussit pas et qu’il ne nous rend pas heureux, pourquoi ne changerions pas de sport national ? Pourquoi ne pas investir dans un jeu où nous serions imbattables, comme le lancer de déchets sur terrains vagues, la traversée de rues... Ou notre deuxième sport national : la drague ?

Ça serait d’ailleurs agréable à regarder ça, avec deux commentateurs experts :

– Bonne phase de jeu de Mounir qui rentre dans l’aire de séduction de Mouna... Il s’approche de la surface de déclaration...

– Superbe « sssss » !

– Oui, Mounir possède une assez belle technique. Son « sssss » est à la fois efficace et élégant...

– Mounir récupère le numéro de téléphone de Mouna... Mounir... Qui passe le numéro à Soufiane... Puis à Rédouane... Qui renvoie le numéro à son coéquipier...

– Bon enchaînement... Nous assistons à une bonne séquence de jeu de l’équipe, là...

– Daoud, qui passe à Anas... Anas qui passe à Tarek...

– Oh, attention, Tarek qui téléphone... ça sonne... Il parle et... Ooooh !! INCROYABLE !!

– Quelle occasion incroyable !...Comment on peut rater ça franchement !...

– Et oui ! Tarek a manqué une occasion incroyable d’embobiner Mouna !!...

– C’est pas professionnel ça !... Comment peut-on oublier les bases de ce que l’on apprend à l’entraînement ?

– Tout à fait ! Le joueur a manqué son contrôle en se trompant sur le prénom de la jeune fille... Mais à la décharge de Tarek, Mouna avait une bonne défense. Il faut dire qu’avec 54 déceptions, la jeune femme dispose d’une charnière expérimentée.

 

Il y a aussi un sport où les marocains pourraient avoir de belles chances d’être champion du monde :

– Farid est esseulé dans la surface de l’administration... Personne ne le charge... Il semble que les deux équipes s’observent...

– Tout à fait... Farid s’approche de l’Accueil... Il demande des renseignements concernant le paiement d’arriéré de taxe... Il veut se renseigner sur les modalités et les aménagements possibles...

– Bonne récupération de l’Accueil, qui passe au Bureau des Admissions...

– Le Bureau des Admissions, qui fait la passe au Guichet Fiscal...

– Guichet Fiscal au Service Cadastre... Guichet D qui s’intercale dans l’intervalle... Il rejoue avec le Service Cadastre...

– Bonne séquence de jeu de l’équipe, là, ça joue en passes courtes, c’est fluide...

– Oui, Guichet D qui a récupéré Farid et qui renverse le jeu vers le Service Photocopies...

– Service Photocopies qui remet à Service Légalisation, qui remet en retrait à l’Accueil...

– Ah, il va y avoir un changement du coté de l’Administration... Chaouch2 Hmed prend la place de l’Accueil...

– Oui, l’Accueil qui n’était pas en jambe et qui n’a pas pesé sur le jeu...

– Son remplaçant passe déjà à l’action. Belle prise en main de Chaouch Hmed.

– Oui, Farid essaie de passer mais Hmed offre une belle résistance... Belle défense du joueur.

– Oulah ! Les esprits s’échauffent sur le terrain ! Il y a une grande discussion entre Mourad et son adversaire ! Une lutte féroce s’engage... Aucune des deux parties ne veut céder... Mais Hmed prend un bel avantage...

– Oui... Attention ! Hmed s’approche de la surface de rémunération...

– Il passe les derniers obstacles... il s’approche et... Goooooaaaaaaaal !! Superbe action !! Hmed a réussi à soutirer cinquante dirhams à Farid !!

– Incroyable ! On repasse l’action au ralenti !... Une action superbe...

– C’était pas évident...

 

Ce ne sont que des suppositions innocentes... Mais à y réfléchir, je ne crois pas que ce soit une bonne solution... Même dans ces deux sports, nous risquons bien de faire match nul contre l’Égypte...

 

Mohamed Saïyd. in Bienvenue à Maroc-Land (c) 2019.

 

Lexique :

11. Ba : Père. Cette locution désigne en général un homme âgé.

2. Chaouch : personnel de service d’administration.